François de Gastel, maître de la verrerie de Louplande (Sarthe)
Le dernier fascicule de la revue Maine Découvertes1 présente un article qui s’intéresse à la tour de l’ancien manoir de la Papinière sur la commune de Chemiré-le-Gaudin (Sarthe). On peut y lire qu’un verrier, un certain François de Gastel, sieur de la Papinière et maître de la verrerie de Louplande, aurait résidé en ce lieu. Qu’en est-il réellement ?
Ce François de Gastel apparaît dans l’enquête de 1577 faite à la demande de Charles d’Angennes évêque du Mans de 1556 à 1587. C’est pendant son épiscopat que des troubles religieux secouent le Maine et que l’opposition entre protestants et catholiques grandit ; par exemple, la cathédrale du Mans est vandalisée par les protestants en 1562. Les nobles du Maine, suivant leurs convictions, et parfois leurs intérêts, adhèrent à un camp ou à l’autre2. L’évêque du Mans, devenu cardinal en 1570, va faire dresser un inventaire des nobles fidèles à la religion catholique et sur lesquels il pourra s’appuyer : « La liste fut faite par ordre de M. Jourdan, lors grand vicaire de Mgr le cardinal de Rambouillet, évêque du Mans, adressée à tous les doyens ruraux et aussi aux curés de leur doyenné, pour savoir si tous les gentilshommes de leurs paroisses étaient de la religion romaine et fidèle à Henry, roi de France et de Pologne. » Courtin, prêtre et doyen de Vallon, indique donc pour son doyenné la liste des nobles dont « Loupelande : Noble François Du Gastel, sieur de la Pépinière, maitre de la vayrerye de Louppelande. » A première vue, rien n’indique donc un lien entre la verrerie de Louplande et le manoir de la Papinière.
Les de Gastel sont une famille de verriers qu’on trouve en diverses verreries dès le XVème siècle3, dans le Perche et le Vendômois en particulier, et souvent alliée à d’autres familles verrières telles le de Brossard ou encore les Le Vaillant.
Ces de Gastel, sieurs de la Pépinière, apparaissent dans d’autres sources. Au tout début du XVIème siècle, Bertrand du Gastel, sieur de la Poupinière est cité dans un contrat de mariage avec Jacquine de Gratemesnil dont le père, Guillaume de Gratemesnil, est seigneur de Crépainville (28), paroisse distante d’une trentaine de kilomètres de la verrerie du Plessis-Dorin (41). On connaît au XVIème siècle un Claude de Gastel, sieur de la Pépinière, qui épouse Christine de Montlibert, femme en premières noces de Nicolas de Brossard. Les de Montlibert étaient au château d’Arras sur la paroisse de Saint-Avit (41) voisine de celle du Plessis-Dorin connue pour sa verrerie. Les registres paroissiaux de La Chapelle-Guillaume (28) nous signalent aussi en 1594 un Claude de Gastel sieur de la Pépinière comme parrain.
Un acte de 1586, rédigé en la paroisse de Montmirail (72), vient nous apporter un éclairage sur la question qui nous intéresse. Il est formulé ainsi : « Le mercredi douzyesme jour dud(it) moys et an a esté amené en ceste ville p(ar) un nomme Piau avec son harnoys de chevaulx, un nom(m)e monsieur Jouanne italien verrier mary lors de la veufve monsieur de la Pepiniere viva(n)t aussi verrier, et a esté acconduy p(ar) la justice de ceste ville pour y estre enterre pour aultant quil avoit este trouve mort et enterré en un chant pres lad(ite) Pepiniere ou il avoit esté tué en la parroisse du Plessis ». On a donc dans cet acte l’indication du lieu-dit la Pépinière situé en la paroisse du Plessis-Dorin (28), lieu-dit situé à moins de cinq cents mètres de la verrerie.
Que faisait à Louplande François de Gastel ?
Le document de 1577 est la seule trace d’époque concernant l’activité verrière à Louplande. Il doit sans doute s’agir du lieu-dit « La Verrerie » situé entre Louplande et Etival-Lès-Le Mans ; l’endroit était déjà occupé dès l’époque antique comme le montre la présence d’enclos gaulois ou gallo-romains (site archéologique référencé 72 169 0007) et longés par un très ancien chemin se dirigeant vers Allonnes. Tout le secteur est d’ailleurs parsemé de structures archéologiques antiques (enclos, production métallurgique, etc.).
On sait également que le fief de la Verrerie passe en 1669 dans les mains de la famille noble Dupont d’Aubevoye originaire de la région du Lude et dont des membres s’installent à Voivres-Lès-Le Mans à la Grande Chesnaye. Ce fief appartenait auparavant à l’Hôpital du Mans.
La verrerie de Louplande a dû fonctionner peu de temps comme pour un certain nombre d’autres petits sites verriers ponctuels. Il est probable que François de Gastel, ou un autre verrier un peu avant, ait réactivé un site ancien pour quelques temps. Les registres paroissiaux de Louplande, qui commencent en 1594, ne donnent aucun nom de verriers ce qui semble indiquer que l’activité se termine dans le dernier quart du XVIème siècle. Cependant, il est possible cette verrerie devait exister avant la guerre de Cent-Ans puisqu’en 1324 l’évêque du Mans Pierre Gougeul fait don4 à l’Hôtel-Dieu de Coëffort des métairies de la Quentinière, de la Morelière, de la Vairie et de la Corbière. La Quentinière et la Morelière sont des lieux-dits à quelques centaines de mètres de la Verrerie. La Corbière se situe sur la commune voisine de Voivres-Lès-Le Mans. Le problème est qu’à proximité de la Corbière se situe un autre toponyme « Verrerie » ; mais la « Verrerie » de Voivres n’apparaît pas dans les documents des XVIIème et XVIIIème siècles comme étant une métairie. De plus l’achat de la Verrerie de Louplande par les Dupont d’Aubevoye à l’Hôpital du Mans conforte l’hypothèse que la Vairie de 1324 est bien le lieu-dit de Louplande.
Quant à François de Gastel, sieur de la Pépinière, c’est un personnage qui ne semble apparaître que dans ce document de 1577. On en a un autre, si tant est que cela en soit un autre, en 1581 à Saint-Mars d’Outillé (72) où naît Jacques de Gastel, docteur en théologie, que l’on retrouve plus tard comme prieur à Avessé (72), et qui est le fils de François de Gastel, sieur de Launay, et de Catherine de Saint-François. Il est à noter que l’on trouve des de Saint-François sur les sites de la Charnie où elles sont épouses des de Brossard, autre grande famille de verriers ; la famille de Saint-François trouve ses origines vers Marigné-Laillé en bordure de la forêt de Bercé.
Il existe quelques autres toponymes se rapportant aux verreries dans la région : Chemiré-le-Gaudin et Voivres-Lès-Le Mans dans l’ancienne forêt des Teillais. Il existe aussi une parcelle proche du château du Villaines nommée « le champ de la Verrerie ».
Épilogue
En fait, l’amalgame entre François de Gastel, sieur de la Pépinière et la Papinière est apparu dans un ouvrage de l’historien Jean-Marie Constant5. Il faut dire que cela semblait tentant de rapprocher « Papinière » et « Pépinière » et qu’en l’absence d’une étude approfondie sur ces familles verrières, il était bien difficile d’y voir clair.
1Hervé GUYOMARD, La Papinière, Maine Découvertes n° 108, printemps 2021, p. 14-17
2Voir l’article de Pierre MOULARD, Enquête sur les principes religieux et la résidence des gentilhommes dans le diocèse du Mans en 1577, Bulletin de la Societé d′Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe, tome XXX, 1885, p. 136-188
3Christian LÉGER, Verriers et verreries dans le Perche vendômois, XVe-XVIIIe siècles, Cahiers percherons, n° 166, 2006-4, p1-19
4AD72, G738
5Voir par exemple Jean-Marie CONSTANT, La noblesse en liberté, XVIe-XVIIe siècles, Presses Universitaires de Rennes, 2015
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